Monet painting

Prête-moi ta plume: Reading “Au Printemps” de Guy de Maupassant

Transcript:

Chères auditrices, chers auditeurs, en novembre dernier, je vous avais fait découvrir une nouvelle de Guy de Maupassant : La chevelure. Je reviens vous voir aujourd’hui avec un texte du même auteur que j’ai découvert il y a peu de temps. Il s’intitule Au printemps et a été écrit en 1881. L’histoire racontée ici se passe donc « au printemps » et j’espère qu’elle vous surprendra et vous fera sourire autant que moi.

C’est étonnant et plein d’humour ! Je ne vous en dis pas plus ! Sa-vou-rez (enjoy) !

Lorsque les premiers beaux jours arrivent, que la terre s’éveille et reverdit (turns green again), que la tiédeur parfumée de l’air nous caresse la peau, entre dans la poitrine (lungs), semble pénétrer au cœur lui-même, il nous vient des désirs vagues de bonheurs indéfinis, des envies de courir, d’aller au hasard, de chercher aventure, de boire du printemps.

L’hiver ayant été fort dur (really severe) l’an dernier, ce besoin d’épanouissement (vitality) fut, au mois de mai, comme une ivresse qui m’envahit, une poussée de sève débordante (an overabundant supply of sap).

Or, en m’éveillant un matin, j’aperçus par ma fenêtre, au-dessus des maisons voisines, la grande nappe (tablecloth) bleue du ciel tout enflammée de soleil. Les serins (canaries) accrochés aux fenêtres s’égosillaient (were singing loudly) ; les bonnes (servants) chantaient à tous les étages ; une rumeur gaie montait de la rue ; et je sortis, l’esprit en fête, pour aller je ne sais où.

Les gens qu’on rencontrait souriaient ; un souffle de bonheur (an air of happiness) flottait partout dans la lumière chaude du printemps revenu. On eût dit (One might almost have said) qu’il y avait sur les villes une brise d’amour répandue ; et les jeunes femmes qui passaient en toilette du matin, portant dans les yeux comme une tendresse cachée et une grâce plus molle (languid) dans la démarche, m’emplissaient le cœur (filled my heart) de trouble (agitation).

Sans savoir comment, sans savoir pourquoi, j’arrivai au bord de la Seine. Des bateaux à vapeur (steamboats) filaient vers Suresnes, et il me vint soudain une envie démesurée de courir à travers les bois (the woods).

Le pont de la Mouche était couvert de passagers, car le premier soleil vous tire, malgré vous, du logis (draws one out of the house, in spite of themselves), et tout le monde remue (moves about), va, vient, cause avec le voisin.

C’était une voisine que j’avais : une petite ouvrière (work-girl), sans doute, avec une grâce toute parisienne, une mignonne tête blonde sous de cheveux bouclés aux tempes ; cheveux qui semblaient une lumière frisée, descendaient à l’oreille, couraient jusqu’à la nuque (nape), dansaient au vent, puis devenaient, plus bas, un duvet (a down) si fin, si léger, si blond, qu’on le voyait à peine, mais qu’on éprouvait une irrésistible envie de mettre là une foule de baisers.

Sous l’insistance de mon regard, elle tourna la tête vers moi, puis baissa brusquement les yeux (immediatly looked down), tandis qu’un pli léger, comme un sourire prêt à naître, enfonçant un peu le coin de sa bouche, faisait apparaître aussi là ce fin duvet soyeux (soft) et pâle que le soleil dorait (was gilding) un peu.

La rivière calme s’élargissait (broadened). Une paix chaude planait dans l’atmosphère, et un murmure de vie semblait emplir l’espace. Ma voisine releva les yeux, et, cette fois, comme je la regardais toujours, elle sourit décidément. Elle était charmante ainsi, et dans son regard fuyant (her passing glance) mille choses m’apparurent, mille choses ignorées jusqu’ici. J’y vis des profondeurs inconnues, tout le charme des tendresses, toute la poésie que nous rêvons, tout le bonheur que nous cherchons sans fin. Et j’avais un désir fou d’ouvrir les bras, de l’emporter quelque part (to carry her off somewhere) pour lui murmurer à l’oreille la suave musique (sweet music) des paroles d’amour.

J’allais ouvrir la bouche et l’aborder (to adress her), quand quelqu’un me toucha l’épaule (shoulder). Je me retournai, surpris, et j’aperçus un homme d’aspect ordinaire, ni jeune ni vieux, qui me regardait d’un air triste.

– Je voudrais vous parler, dit-il.

Je fis une grimace (I pulled a face) qu’il vit sans doute (he probably noticed), car il ajouta : – « C’est important. »

Je me levai et le suivis à l’autre bout du bateau.

(musique)

– « Monsieur, reprit-il (he continued), quand l’hiver approche avec les froids, la pluie et la neige, votre médecin vous dit chaque jour : « Tenez-vous les pieds bien chauds, gardez-vous des refroidissements, des rhumes (colds), des bronchites, des pleurésies. » Alors vous prenez mille précautions, vous portez de la flanelle, des pardessus épais (thick overcoats), des gros souliers (heavy shoes), ce qui ne vous empêche pas (doesn't stop you) toujours de passer deux mois au lit. Mais quand revient le printemps avec ses feuilles et ses fleurs, ses brises chaudes et amollissantes, ses exhalaisons des champs (smells of the fields) qui vous apportent des troubles vagues, des attendrissements sans cause, il n’est personne qui vienne vous dire : « Monsieur, prenez garde à l’amour ! Il est embusqué (ambushed) partout ; il vous guette (it is watching for you) à tous les coins ; toutes ses ruses (snares) sont tendues, toutes ses armes aiguisées (all its weapons are sharpened), toutes ses perfidies préparées ! Prenez garde à (Beware of) l’amour !... Prenez garde à l’amour ! Il est plus dangereux que le rhume, la bronchite et la pleurésie ! Il ne pardonne pas, et fait commettre à tout le monde des bêtises (follies) irréparables. » Oui, monsieur, je dis que, chaque année, le gouvernement devrait faire mettre sur les murs de grandes affiches avec ces mots : « Retour du printemps. Citoyens français, prenez garde à l’amour ; » de même qu’on écrit sur la porte des maisons : « Prenez garde à la peinture ! » – Eh bien, puisque le gouvernement ne le fait pas, moi je le remplace, et je vous dis : « Prenez garde à l’amour ; il est en train de vous pincer, et j’ai le devoir de vous prévenir (to inform you) comme on prévient, en Russie, un passant dont le nez gèle (whose noze is frozing). »

Je demeurai stupéfait (astonished) devant cet étrange particulier, et, prenant un air digne : – « Enfin, monsieur, vous me paraissez vous mêler (interfering) de ce qui ne vous regarde guère. »

Il fit un mouvement brusque, et répondit : – « Oh ! monsieur ! monsieur ! si je m’aperçois qu’un homme va se noyer (to drown) dans un endroit dangereux, il faut donc le laisser périr (let him die) ? Tenez, écoutez mon histoire, et vous comprendrez pourquoi j’ose (I dare) vous parler ainsi.

« C’était l’an dernier, à pareille époque. Je dois vous dire, d’abord, monsieur, que je suis employé au ministère de la Marine, où nos chefs, les commissaires, prennent au sérieux leurs galons (stripes) d’officiers plumitifs (penpushers) pour nous traiter comme des gabiers (boatswain). – Ah ! si tous les chefs étaient civils, – mais je passe. – Donc j’apercevais de mon bureau un petit bout de ciel tout bleu où volaient des hirondelles (swallows) ; et il me venait des envies de danser au milieu de mes cartons noirs.

« Mon désir de liberté grandit tellement, que, malgré ma répugnance, j’allai trouver mon singe (here: my chief). C’était un petit grincheux (bad-tempered) toujours en colère. Je me dis malade. Il me regarda dans le nez et cria : « Je n’en crois rien, monsieur. Enfin, allez-vous-en ! Pensez-vous qu’un bureau peut marcher avec des employés pareils ? »

« Mais je filai, je gagnai la Seine. Il faisait un temps comme aujourd’hui ; et je pris la Mouche pour faire un tour à Saint-Cloud.

« Ah ! monsieur ! comme mon chef aurait dû m’en refuser (should have refused) la permission !

« Il me sembla que je me dilatais (I expanded myself) sous le soleil. J’aimais tout, le bateau, la rivière, les arbres, les maisons, mes voisins, tout. J’avais envie d’embrasser quelque chose, n’importe quoi : c’était l’amour qui préparait son piège (trap).

« Tout à coup, au Trocadéro, une jeune fille monta avec un petit paquet à la main, et elle s’assit en face de moi.

« Elle était jolie, oui, monsieur ; mais c’est étonnant comme les femmes vous semblent mieux quand il fait beau, au premier printemps : elles ont un capiteux, un charme, un je ne sais quoi tout particulier. C’est absolument comme du vin qu’on boit après le fromage.

« Je la regardais, et elle aussi elle me regardait, – mais seulement de temps en temps, comme la vôtre tout à l’heure. Enfin, à force de nous considérer, il me sembla que nous nous connaissions assez pour entamer (to start) conversation et je lui parlai. Elle répondit. Elle était gentille comme tout, décidément. Elle me grisait (she intoxicated me), mon cher monsieur !

« À Saint-Cloud, elle descendit, – je la suivis. – Elle allait livrer une commande. Quand elle reparut (when she returned), le bateau venait de partir. Je me mis à marcher à côté d’elle, et la douceur de l’air nous arrachait des soupirs (made us sigh) à tous les deux.

– « Il ferait bien bon dans les bois », lui dis-je.

« Elle répondit : « Oh ! oui ! »

– « Si nous allions y faire un tour, voulez-vous, mademoiselle ? »

« Elle me guetta en dessous d’un coup d’œil rapide comme pour bien apprécier ce que je valais, puis, après avoir hésité quelque temps, elle accepta.

(musique)

Et nous voilà côte à côte (side by side) au milieu des arbres. Sous le feuillage un peu grêle (thin) encore, l’herbe, haute, drue (thick), d’un vert luisant, comme vernie, était inondée de soleil et pleine de petites bêtes qui s’aiment aussi. On entendait partout des chants d’oiseaux. Alors ma compagne se mit à courir en gambadant, enivrée (intoxicated) d’air et d’effluves champêtres (smell of the woods). Et moi je courais derrière en sautant (jumping) comme elle.

Est-on bête (how silly), monsieur, par moments !

« Puis elle chanta éperdument mille choses, des airs d’opéra, la chanson de Musette ! La chanson de Musette ! comme elle me sembla poétique alors !... Je pleurais presque. Oh ! ce sont toutes ces balivernes-là (nonsense) qui nous troublent la tête ; ne prenez jamais, croyez-moi, une femme qui chante à la campagne, surtout si elle chante la chanson de Musette !

« Elle fut bientôt fatiguée et s’assit sur un talus (a slope) vert. Moi, je me mis à ses pieds, et je lui saisis les mains, ses petites mains poivrées de coups d’aiguille (marked with the needle) ; et cela m’attendrit.

« Puis nous nous sommes regardés dans les yeux longuement. Oh ! cet œil de la femme, quelle puissance il a ! Comme il trouble, envahit, possède, domine, Comme il semble profond, plein de promesses, d’infini ! On appelle cela se regarder dans l’âme ! Oh ! monsieur, quelle blague ! Si l’on y voyait, dans l’âme, on serait plus sage, allez.

« Enfin, j’étais emballé (captivated), fou. Je voulus la prendre dans mes bras. Elle me dit : « À bas les pattes ! (paws off !) »

« Alors je m’agenouillai (I knelt down) près d’elle, j’ouvris mon cœur ; je versai (poured out) sur ses genoux toutes les tendresses qui m’étouffaient. Elle parut étonnée de mon changement d’allure, et me considéra d’un regard oblique comme si elle se fût dit : – Ah ! c’est comme ça qu’on joue de toi, bon bon ; et bien : nous allons voir.

« En amour, monsieur, nous sommes toujours des naïfs, et les femmes des commerçantes.

« J’aurais pu la posséder sans doute ; j’ai compris plus tard ma sottise (stupidity), mais ce que je cherchais, moi, ce n’était pas un corps ; c’était de la tendresse, de l’idéal, j’ai fait du sentiment quand j’aurais dû mieux employer mon temps.

« Dès qu’elle en eut assez de mes déclarations, elle se leva ; et nous revînmes à Saint-Cloud. Je ne la quittai qu’à Paris. Elle avait l’air si triste depuis notre retour que je l’interrogeai. Elle répondit : – « Je pense que voilà des journées comme on n’en a pas beaucoup dans sa vie. » Mon cœur battait à me défoncer (to break) la poitrine.

« Je la revis le dimanche suivant, et encore le dimanche après, et tous les autres dimanches. Je l’emmenai à Bougival, Saint-Germain, Maisons-Laffitte, Poissy ; partout où se déroulent les amours de banlieue.

« La petite coquine, à son tour, me « la faisait à la passion. »

« Je perdis enfin tout à fait la tête, et, trois mois après, je l’épousai.

« Que voulez-vous, monsieur, on est employé, seul, sans famille, sans conseils ! On se dit que la vie serait douce avec une femme ! Et on l’épouse, cette femme !

« Alors, elle vous injurie (she calls you names) du matin au soir, ne comprend rien, ne sait rien, jacasse (chatters) sans fin, chante à tue-tête (sings loudly) la chanson de Musette (oh ! la chanson de Musette, quelle scie (so boring !), se bat avec le charbonnier (charcoal dealer), raconte à la concierge les intimités de son ménage (her couple), confie à la bonne du voisin tous les secrets de l’alcôve (pillow talks), débine (denigrate) son mari chez les fournisseurs, et a la tête farcie d’histoires si stupides, de croyances si idiotes, d’opinions si grotesques, de préjugés si prodigieux, que je pleure de découragement, monsieur, toutes les fois que je cause avec elle. »

Il se tut (He stopped talking), un peu essoufflé (out of breath) et très ému (moved). Je le regardais, pris de pitié pour ce pauvre diable naïf, et j’allais lui répondre quelque chose, quand le bateau s’arrêta. On arrivait à Saint-Cloud.

La petite femme qui m’avait troublé se leva pour descendre. Elle passa près de moi en me jetant un coup d’œil de côté avec un sourire furtif, un de ces sourires qui vous affolent ; puis elle sauta sur le ponton.

Je m’élançai pour la suivre, mais mon voisin me saisit par la manche (sleeve). Je me dégageai d’un mouvement brusque ; il m’empoigna par les pans de ma redingote (frock-coat), et il me tirait en arrière en répétant : – « Vous n’irez pas ! vous n’irez pas ! » d’une voix si haute, que tout le monde se retourna.

Un rire courut autour de nous, et je demeurai immobile, furieux, mais sans audace (without blodness) devant le ridicule et le scandale.

Et le bateau repartit.

La petite femme, restée sur le ponton, me regardait m’éloigner d’un air désappointé, tandis que mon persécuteur me soufflait dans l’oreille (whispered) en se frottant les mains :

Je vous ai rendu là un rude service (I have done you a great service), allez.

Catherine - Prêt à Parler Team

Catherine

Après une enfance et une adolescence en Afrique, Catherine a étudié le théâtre et la littérature en France. Elle « est montée » à Paris et a été comédienne pendant 15 ans.

Aujourd’hui elle est professeur. Elle vit entre Paris et l’Andalousie.

Elle aime toujours jouer avec les mots et avec sa voix pour faire partager son amour du Français.

" Parler une langue c’est exprimer des goûts, des émotions, des opinions…et c’est aussi physique ! On doit s’entrainer comme un sportif ou comme un acteur 🙂 "

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